Jean-Claude BARNY
Réalisateur, scénariste et comédien d’origine guadeloupéenne, Jean-Claude Barny porte haut et fort la voix d’un Cinéma français indépendant et engagé. D’un film à l’autre, il participe à la construction d’une Histoire de l’Outre-Mer sur grand écran débarrassée des clichés et du folklore. A l’occasion de la sortie de son dernier film, Le Gang des Antillais, HISTORYSCOPE l’a interrogé sur son rapport à l’Histoire et sur la manière dont le Passé, la Littérature et la Politique influent sur ses choix d’écriture et de mise en scène.
“Le gang des Antillais” raconte un fait divers très médiatique des années 70. Mais derrière cette chronique judiciaire, le film brosse en toile de fond les conséquences humaines et sociétales du BUMIDOM (le “BUreau pour le développement des MIgrations dans les Départements d’Outre-Mer”). Quelle était votre motivation première ? Avez-vous voulu passer un message et, si oui, lequel ?
Effectivement, dans le film, il y a le fond et la forme. Le fond, c’est évidemment le BUMIDOM et ces discriminations qu’ont connu dans les années 70 les Antillais arrivant en métropole par le biais de cette loi Debré. Mais ce qui m’intéressait aussi, c’était de raconter d’une façon beaucoup plus humaine, beaucoup plus sensible, la façon dont certaines communautés – et pas uniquement la communauté antillaise – ont vécu cette arrivée en France avec toutes les propositions qu’on leur a fait et les rêves qu’avaient mis en place de façon aliénante les différentes colonisations.
Pour moi, le film était une façon de donner rendez-vous à la fois aux communautés et, d’une façon plus générale, à la société française, mettre autour de ce film un rendez-vous à la fois socio-culturel pour dire : « Voilà, nous on a vécu ça. Il y a beaucoup de caricatures qui entourent de notre arrivée et de notre vécu en France. Voici, à un moment ou à un autre, notre propre point de vue. ». Il est évident qu’il y a eu beaucoup de films qui racontent ce genre de problématiques, mais ils ont souvent été faits par des cinéastes ou des documentaristes qui étaient plutôt de l’”autre côté du vécu”.
Aujourd’hui, on se rend aussi compte dans le débat public que souvent les gens concernés ne sont pas forcément les plus invités. On parle à la place de certaines personnes. En m’accaparant ce sujet, j’ai essayé de montrer le point de vue des descendants de parents qui ont vécu cette discrimination ou de ceux qui la vivent encore. Et j’ajouterai qu’aujourd’hui, avec l’élection de Donald Trump, on parle également beaucoup de la problématique du « petit blanc » qui ne se retrouve plus dans ce schéma géopolitique et qui se sent grignoté de partout par les communautés. Or, il se trouve que nous, nous n’avons pas de représentants au sein de la politique française. Si l’on parle de « petits blancs », on doit aussi pouvoir parler de « petits Jaunes », de « petits Noirs » ou de « petits Arabes ». Nous avons un gouvernement qui s’occupe d’une façon très claire du « petit blanc » mais il n’y a pas de gens qui nous défendent. Je pense que c’est parfois un peu l’hôpital qui se fout de la charité de croire que nous serions éternellement victimes d’une discrimination et que nous serions tout le temps contraint d’accepter la situation dans laquelle on nous met. On ne peut pas continuer à accepter cette victimisation. Si, aujourd’hui, des films comme Le Gang des Antillais sortent en salles et montent en démonstration, c’est parce qu’il y a pour nous une urgence de mieux se faire comprendre, de mieux se faire entendre.
De “Tropiques amers” au “Gang des Antillais”, l’Histoire des Antilles et des Antillais en métropole est le fil conducteur de votre travail. Était-ce, dès le départ de votre carrière, un choix délibéré ?
Non, cela n’a pas été un choix délibéré, mais c’est comme un espace qui est vide et vers lequel on se sent, au fur et à mesure, dans l’obligation d’occuper. Il est vrai que, lorsque j’ai commencé à faire du Cinéma, il y avait vraiment des thématiques qui me semblaient évidentes : parler de mon vécu, de mon parcours en tant que jeune antillais arrivé en France, vivant dans une banlieue et vivant les discriminations de façon constante. Dans les années 90, après mon premier court-métrage – qui s’appelait Putain de porte –, je me suis de plus en plus intéressé à la question de l’identité. J’ai participé à des films comme La Haine qui développaient aussi cette thématique et mon travail s’est de plus en plus renforcé par ce manque de visibilité dans le Cinéma et les différents médias artistiques en France que nous avions, nous, enfants de la Diversité. De facto, mon travail a été porté par l’envie de montrer nos talents, montrer mon talent – si j’en ai un en tout cas – et montrer celui de tous les gens qui m’entouraient, pas seulement les communautés, mais d’une façon générale, de tous ceux qui avaient quelque chose à dire qui n’était pas généralisé et représenté dans les médias.
Lors de la conception du film (de l’écriture au tournage), comment appréhendez-vous le “matériau” historique (du travail de recherche et de documentation, à préparation des décors et des costumes et à l’utilisation d’archives audiovisuelles comme c’est le cas à l’ouverture du film…) ?
J’ai réalisé une série pour la Télévision qui s’appelait Tropiques amers et c’est à cette occasion que j’ai vraiment pu comprendre l’importance du « matériel historique ». Lorsque que l’on s’attelle à une fresque historique, en l’occurrence qui se déroulait autour de 1800, durant la période de l’Esclavage, je me disais que je devais être vraiment irréprochable au niveau historique.
Quand on fait un film qui doit avoir des résurgences dans le Passé, il faut que les gens qui le regardent ne puissent absolument pas ressentir d’anachronismes. Aujourd’hui, je travaille avec des historiens et des scénaristes qui m’entourent et avec lesquels je fais énormément de recherches sur les aspects concrets de l’époque que je souhaite traiter en terme de sociologie, en terme d’accessoires, en terme de référents historiques qui entourent cet événement. Ce qui est intéressant, c’est de savoir ce qui, dans le contexte de mon événement, peut faire écho chez des personnes qui n’ont pas connu l’événement, ce qui serait le plus proche de leur vécu. Par exemple, dans Le Gang des Antillais, on parle de Mesrine parce que c’était l’époque de Mesrine. On parle de Giscard D’Estaing parce que, pour la plupart des Français, c’était l’époque de Giscard D’Estaing. Il s’agit à chaque fois de trouver les liens, les ponts entre ma niche communautaire et l’universalité des gens qui peuvent être sensibles à ce genre de propos. Ce travail de recherches et de sociologie permet de mieux comprendre et de mieux articuler l’écriture afin d’avoir plus de libertés dans la fiction.
Pour porter à l’écran cette incroyable histoire, vous vous êtes inspiré du roman de Loïc Léry. Des influences philosophiques au romanesque présent dans vos fiction télévisuelles, on a l’impression que la littérature occupe une place centrale dans votre rapport au Cinéma et à l’Histoire…
C’est vrai. J’adore lire. J’ai toujours eu un livre dans les mains depuis que je suis adolescent et mes livres étaient très diversifiés, des livres d’Histoire aux romans policiers. Je suis vraiment quelqu’un qui adore la Littérature. C’est quelque chose qui accompagne souvent mes moments de détente et j’ai pris cette culture de passer un moment en me concentrant et en lisant. Dans les choix qui, jusqu’à maintenant, ont été portés dans mes films, il y a souvent un livre qui traîne, une inspiration qui est là. Il y a des gens qui s’inspirent de tableaux ou en allant au Musée. Moi, je trouve que dans la Littérature qui me plaît, il y a énormément de projets filmiques. Souvent, cela fait écho à ce que j’aime, à savoir, porter des personnages forts, en tout cas, emblématiques de ma communauté afro-caribéenne ou d’Afrique sub-saharienne. Les premiers qui m’ont servi de source pour partager cette passion, ce sont souvent des personnages afro-américains.
J’avais 14 ou 15 ans lorsque j’ai commencé à découvrir ces personnages qui pouvaient, en tout cas chez moi, avoir des parcours héroïques et j’ai essayé de les trouver dans la communauté afro-caribéenne. Aujourd’hui, je me sens très à l’aise dans ce genre de projets consistant à essayer de trouver des livres, des personnages qui ont été souvent oubliés de l’Histoire contemporaine pour les porter à l’écran.
Selon vous, qu’est-ce que le cinéma et la TV apportent, en général, à la connaissance de l’Histoire et à la transmission d’une mémoire ?
Énormément de choses ! C’est l’occasion d’un seul tenant et dans un seul média de conscientiser une communauté, des spectateurs ou des téléspectateurs. Le Cinéma et la TV ont forgé, d’une façon malheureuse et en caricaturant, des communautés – je pense en particulier à la communauté maghrébine, à la communauté africaine et à l’antillaise – et nous n’avons pas été très vigilants. Ils nous ont montré de manière parfois abjecte et ont contribué à influencer l’inconscient du peuple français. Aujourd’hui, le travail consiste à déconstruire tout le mal qu’ils ont fait en partageant nos valeurs, notre sensibilité et nos espoirs. C’est vraiment ce contre-courant qui est en œuvre aujourd’hui et qui va essayer de défaire ce que, pendant des décennies, le Cinéma et la Télévision française nous ont apporter comme caricature et désamour auprès d’un public qui, aujourd’hui, nous regarde toujours avec suspicion.
A l’exception de quelques films emblématiques (Rue cases-nègres, Aliker, Jean Galmot, aventurier, etc…), l’Histoire des Antilles et, plus généralement de l’Outre-Mer, est relativement sous-représentée au sein du “filon historique” du Cinéma français. Comment expliquez-vous cela ?
C’est ce que l’on appelle la discrimination. Ce qui est très drôle, c’est que vous citez des films qui ont quand même un passif, celui d’un Cinéma d’une époque qui date de plus de 10 ans. Il y a eu quand même entre-temps d’autres films qui sont surtout des comédies et je crois que c’est cela qui est intéressant. Rue cases-nègres, Aliker ou Jean Galmot, aventurier… – et j’ajouterai également Neg’Maron – sont des films qui ont plutôt une tendance à la dramaturgie et œuvres pour une meilleure connaissance de l’Histoire des Antilles. Aujourd’hui, il y a une dizaine de films de ce même acabit mais qui sont plutôt portés vers la comédie. C’est ça, le virage. Je crois qu’aujourd’hui les médias français acceptent de plus en plus que ce « filon historique » disparaisse au profit de comédies portées par l’Outre-Mer. Moi, je dis non ! Il ne faut pas que ce soit unilatéral. Il existe encore bien d’autres films d’autres sensibilités que les comédies.
Le Noir n’est pas « Martine ». Ce n’est pas « Martine à la plage » ou « Martine à la montagne ». Aujourd’hui, on retire le Noir de son contexte urbain pour le placer dans un contexte plutôt fragile et on voit comment il se défait de ces situations, un peu comme Tintin… C’est ce qui me déplaît dans ces comédies où le Noir est comme Tintin dans des endroits complètement absurdes et on voit comment il réagit par rapport à cette hostilité. Certes, c’est un classique du Cinéma… Le Cinéma américain l’a fait avant nous et c’est ce qui se passe actuellement dans le Cinéma français. Mais le Cinéma d’Outre-Mer, africain ou maghrébin mérite beaucoup mieux que ces comédies poussives, affligeantes ou bien faites – peu importe – mais qui nous ramènent systématiquement à des contextes drôles et aliénants.
Comment jugez-vous le travail sur la mémoire afro-descendante engagé par Hollywood ces 20 dernières années ?
Très intéressant ! Les Américains ou les Afro-américains s’emparent beaucoup plus facilement de leur Histoire. Je pense qu’il y a une trentaine ou une cinquantaine de films sur le Vietnam. Il y a aussi beaucoup de films sur l’Esclavage. Même s’il y a encore beaucoup de difficultés chez eux – mais beaucoup moins que chez nous ! -, ils ont une faculté, d’abord financière évidemment, à s’emparer de leur Histoire et à l’amener dans le débat public. Le Cinéma est un Art, un Art d’engagement qui doit réveiller les consciences et doit aussi distraire. Retrouver le grand public à travers des films de niche… Aujourd’hui, dans ce Cinéma dans lequel moi je me trouve bien – qui est celui de Ken Loach, de Spike Lee, de Charle Lane, de Terence Malick, d’Audiard, de Mathieu Kassovitz et bien d’autres –, il faut s’emparer des faits qui ont été oubliés de l’Histoire et les porter avec épique. Il ne s’agit pas de faire des films documentaires mais plutôt de fiction qui puissent avoir une portée universelle. Ce n’est malheureusement pas ce que le Cinéma français produit de mieux en ce moment… Il faut se battre car, comme toujours, lorsque l’on essaie de faire des choses particulières, qui sortent de la tyrannie de l’audimat, il y a moins de gens qui viennent. Mais j’ai plutôt bon espoir parce que ces films sont souvent très bons et le public répond présent !
QUESTION BONUS :
Quel est votre film “historique” préféré et pourquoi ?
J’apprécie autant les films d’auteurs que ceux destinés au grand public… Lorsque j’étais adolescent, Le Cid d’Anthony Mann m’avait vraiment fasciné. Il y avait ce côté épique que j’essaie de retrouver dans mes films. Sinon, le film « historique » qui m’a le plus bouleversé est La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo.
Propos recueillis le 16 novembre 2016